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Nina Robert et Sugar

Quelque chose de magique s'opère le jour où... les premières rencontres, l'écriture, le tournage, le montage, le mixage, l'étalonnage, le dernier crédit du générique, la validation par le diffuseur du film, la date de diffusion fixée, la bande-annonce dévoilée, les premiers retours, le premier article, l'avant-première (virtuelle ou réelle), la première diffusion, le replay.... Le film n'est alors plus vraiment mon film mais le vôtre. C'est un sentiment maternel : je t'aime malgré tes imperfections, je te laisse partir et vivre ta vie mais je serai toujours là pour toi. Certains ne te verront pas tel que moi je te vois, certains seront plus bienveillants que d'autres à ton égard mais ainsi est la vie. N'oublie jamais que je suis fier de toi !


Ce matin, j'ai très envie de vous parler des personnes de talent avec qui j'ai eu la chance de travailler. Sans elles, "Sugar" ne serait pas vraiment "Sugar". Il y a d'abord Marc Degli Esposti qui, après m'avoir fait confiance pour "Clearstream et moi" m'a fait confiance pour "Sugar", a compris mon intuition de départ qui n'était pas une enquête, pas un film sur le terrain mais dans un écrin. Je ne cite pas le diffuseur en premier par convenance mais parce que sans lui, et sans France 3 Paris Ile-de-France, je serais sans doute encore à la recherche d'une chaîne... et je serais sans doute encore en train de me battre pour expliquer que je ne tournerai pas dans un studio miteux pour appuyer le fait que les sugar babies sont des étudiantes précaires contraintes de prendre cette décision pour survivre. Parce que je suis certaine que la poésie, la beauté d'un son, d'une image, d'un décor ne rendent pas plus supportable une réalité insupportable. Parce que des propos éprouvants et durs ne doivent pas forcément être mis en scène de façon éprouvante et dure. Mais je n'ai pas envie de trop vous expliquer mes choix narratifs, trop décortiquer la réalisation, je préfère vous laisser découvrir le film et en discuter avec vous, si vous le souhaitez, après 🙂


Sugar n'est pas vraiment "mon film", c'est un travail collectif mené dans la confiance et le désir de créer le meilleur film possible. Et c'est comme en amour, en amitié, avant tout une histoire de confiance et de rencontres.


L'année dernière, juste avant le début des rues désertes et du premier confinement, j'étais allée au Festival de Luchon. J'y ai présenté "Clearstream et moi" et, membre du jury documentaire, j'ai pu remettre le prix de l'originalité du sujet traité à Anne-Sophie Reinhardt pour son documentaire "Les Damnés, des ouvriers en abattoir", formidable travail sans aucune image tournée en abattoir, plein de délicatesse et de poésie. J'étais émue et fière de remettre son prix à Anne-Sophie. Heureuse au point que sur les photos de la soirée de remise du prix, on croit presque que c'est moi qui le reçois ! Anne-Sophie et moi avons gardé contact. D'abord un verre à Luchon, puis quelques mots en privé sur Facebook, puis un appel cet été qui durera le temps d'un Paris-Metz en train. Je lui ai raconté "Sugar". Anne-Sophie m'a tout de suite dit qu'elle m'accompagnerait dans l'aventure si je le souhaitais, peu importe la place qu'elle prendrait. C'est si rare et précieux, quand il n'y a pas de guerre d'ego, juste l'envie de créer ensemble et de donner.


J'ai rencontré les personnages de mon film entre juin et septembre, dans le studio de musique où travaille Léo. Léo Vincent, mon ami depuis 15 ans, qui m'accompagne dans mes aventures depuis plus de 10 ans. Léo a composé les musiques de mes documentaires, c'est un poète. Il dispose de grandes capacités techniques mais avec l'originalité et la sensibilité en plus. Il me comprend et me connait. Au-delà de la musique, il est toujours mon premier public, mon référent (je n'aime pas ce mot), disons plutôt mon compagnon de route.


Durant l'été, j'ai écrit "Sugar". Je suis partie deux-trois jours chez Soraya et Stéphane, des amis propriétaires depuis quelques années d'un château qu'ils retapent avec l'amour et la passion de la nature, des pierres, des couleurs, des objets. Presque immédiatement, je me suis dit que c'était ici, chez eux, que j'aimerais que soit tourné "Sugar". Je ne leur en ai pas parlé tout de suite. Accueillir une équipe et du matériel, se les farcir 10 jours, les nourrir et les loger... Même s'ils sont sympas, ce n'est pas rien ! Alors j'ai préféré garder cette idée pour moi, dans un coin de ma tête, et écrire le film, en rêvant ce tournage. Mais cette idée ne m'a plus quittée 🙂


Anne-Sophie, en lisant mon travail, m'a dit qu'il fallait absolument que je rencontre Julien Hogert qui avait filmé "Les Damnés". Quand elle me parlait de ses images, de son regard, de sa photographie, c'était comme moi lorsque je parlais de la musique de Léo. Sensibilité, confiance et talent. J'ai rencontré Julien. On s'est tout de suite compris. Il voyait exactement ce que j'imaginais. Je lui ai parlé de mon désir de tourner avec ma digital bolex. L'idée l'a emballé. Il m'a aidée à la configurer au mieux, sans compter ses heures. Ça semblait trop beau pour être vrai.  


Mais c'était pourtant bien réel.


J'ai formulé à Soraya et Stephane mon souhait secret de tourner chez eux. Je me rappellerai toujours de leur appel. Du battement de mon coeur dans ma poitrine par peur qu'ils disent non... Ils avaient pris le temps de lire attentivement ma note d'intention et mon scénario, ils m'ont dit oui. Ils voulaient que ce film existe. "Il faut que ton film existe".


Les personnages de mon film (dont je ne peux donner le nom) m'ont dit oui, séduites par l'idée de la symbolique du château, je dirais même rassurées par la perspective d'être filmées dans un lieu lumineux et beau et non dans la pénombre d'une pièce. Elles m'ont fait confiance. Je crois qu'on s'est fait confiance dès qu'on s'est vues. Dès notre première rencontre à Paris.


La Région Grand Est et Gravoulet Marion m'ont fait confiance. Heureusement qu'ils sont là. Dans des rapports fidèles et humains. Avec la Région Grand Est, je n'ai pas l'impression d'être un simple dossier mais une réalisatrice et une productrice en qui on croit, qu'on essaie de soutenir du mieux qu'on peut.


Le budget était mini mais mes coproducteurs d'Angora et Flair Production m'ont fait confiance et m'ont donné leur feu vert.


Citizen Films était à mes côtés (oui bon Citizen c'est en grande partie moi mais j'étais à mes côtés et c'était important que j'y sois).
Julien s'est rendu disponible.


Anne-Sophie aussi. Et comme elle me l'avait promis, Anne-Sophie m'a aidée et nous a aidés... partout. Elle a perché les entretiens, pris le son mais bossé aussi à la lumière, à l'installation-désinstallation du matos, à me rassurer, à ... mille et une choses physiques et psychologiques. Elle est créditée assistante réalisation mais elle a été bien plus qu'une assistante, un bras droit.


J'ai proposé à Louise Haeussler, une de mes anciennes étudiantes, investie et passionnée, de venir nous aider pendant le tournage, à droite à gauche, à gauche à droite. Elle n'était que joie, envie de bien faire. Après deux jours, elle était comme un poisson dans l'eau, pleine d'initiatives.


Soraya nous a accueillis avec générosité et amour. Ma bonne fée. Elle m'a aidée pour les décors, les costumes. Elle était aussi une épaule et une confidente. Sa bienveillance (et ses délicieux repas) ont beaucoup joué sur notre humeur, notre moral et notre état d'esprit à tous. Durant le tournage, il n'y avait plus de covid, plus de pandémie, plus d'interdiction. Nous étions libres d'inventer notre film, dans ce cocon, au milieu de la nature.
Comme les cinq femmes qui témoignent dans SUGAR ne pouvaient être filmées chez elles et ne pouvaient être reconnues, je les ai habillées avec mes propres vêtements et mes bijoux. On reconnaîtra ici et là mes bottines, une robe à dentelles de ma petite soeur, un pendentif de ma grand-mère. En plus de ma garde-robe apportée au château, chaîne de partage et de solidarité, mes amies Soraya, Théodora Smal et Nathalie Centi m'ont prêté des tenues et des accessoires qui constitueront le vestiaire plein de couleurs du film.
Françoise Weber de L'Art Floral à Metz m'a composé des bouquets magnifiques. Le bouquet de la fiction, et cinq bouquets : un pour chaque personnages du film. Accordés aux décors et à leurs tenues.


Je parle du bouquet de la fiction car le film est entrecoupé de scènes de fiction interprétées par Insia Gacem, visage des sugar babies, et par Denis, interprétant le sugar daddy. Denis est un des meilleurs amis de Soraya et Stéphane. Encore une fois, une histoire d'amitié, d'envie d'aider, de confiance.


Au départ, Ïnsia devait être l'unique visage du film. Mais le matin du premier jour de tournage, une des cinq femmes du film m'a annoncé avec émotion vouloir parler à visage découvert. Parce que finalement, quitte à parler, autant parler totalement, à nu. J'ai confiance en toi, avec toi je me sens capable de le faire... Quelle émotion... avant même le premier rec. Quelle émotion quand je regarde aujourd'hui le film, quand je vois son visage, quand je les entends me parler.


Mon post est long mais important. Car vraiment sans ce rapport de confiance, sans ces personnes qui donnent pour le bien commun, sans ces talents, ces envies, ces complicités... sans rapport humain... Nos films seraient froids et livides.
Un mot, un instant peuvent parfois bouleverser toute une scène, tout remuer. C'est tellement puissant !


Le dimanche soir, le tournage s'est achevé... Les filles sont parties une à une. J'ai regardé la voiture d'Anne-Sophie et Julien partir au loin avec Ludovic Lang au volant. J'avais les larmes aux yeux. Comme le moment du départ après un long voyage qui m'a changée. Je suis repartie avec Louise, heureuse de l'avoir à mes côtés encore pour un petit bout de chemin. J'ai serré Soraya et Stéphane dans mes bras avant de reprendre la route. J'ai dû faire une blague un peu naze pour masquer mon émotion mais j'ai laissé un petit mot quelque part.
 

Je suis donc repartie sur la route.


Quelques jours plus tard, le nouveau confinement de novembre démarrait. Etait-ce un confinement ou un couvre-feu avec de nouvelles règles ? Je me perds un peu. En tout cas, la vie moins libre a repris son cours.


Comme pour "Clearstream et moi" un an plus tôt... En janvier, j'emménageais à Paris pour sept semaines dans un airbnb chaleureux tenu par Olivier. Mais avec moins de vie dans les rues. Je retrouvais au montage Nicolas Jourdan, puis Caroline Tulipier, ma magicienne au mixage et Fred Ricci à l'étalonnage. Confiance, amitié et talent. Je retrouvais les locaux de France Télé, des visages familiers. La cantine avec plus de plexiglas et plus de masques, mais ses cuisiniers et son personnel souriants. J'avais l'impression d'être un peu au restaurant, malgré les désinfectants et les distances obligatoires. Durant les cinq semaines de montage, je m'enfermais le soir dans ma chambre, j'écrivais la nuit, testais mes idées, mes intuitions sur Adobe Première puis débarquais pleine d'énergie en montage face à Nicolas parfois flippé de découvrir encore une nouvelle proposition différente de la veille. Mais on avançait, on créait. Je voyais Léo aussi. Je découvrais ses morceaux. Je lui expliquais ce que j'imaginais avec mes mots de non musicienne. Moment de grâce suspendu, la matinée où Clémence Baillot d'Estivaux est venue au studio de Léo enregistrer les prises de violoncelle...
Et puis un jeudi soir, le film était terminé.


"Sugar" existait.


Je suis infiniment heureuse et fière de la photographie du film.
Plein de modestie et de pudeur, Julien Hogert est un grand. Son regard est magnifique.
On a créé "Sugar" tous ensemble. Je suis fière de ses décors, de ses tenues, de sa musique, de son atmosphère... Je suis fière des cinq femmes qui témoignent. De leur courage, de leur intelligence, de leur clairvoyance, de leur force.


À tous et toutes, toutes et tous, je vous dis merci pour ce film.
Et merci d'avoir été à mes côtés.


Et puis merci à mes proches qui, lorsque je suis fatiguée et/ou pleine de doutes, me rappelle pourquoi je fais tout ça et que je dois croire en moi.

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